Persistance de la peinture, par Frédéric Ferney
Un peintre.
ça devient rare.
On l’imagine sous un chapeau de paille, entouré
d’abeilles et de figues, infiniment docile à la plus douce
pente de sa durée.
Pour autant, Xavier Devaud ne se prend pas pour
Cézanne.
Un peintre, ça n’invente rien, ça se souvient, ça
récapitule, ça rend les choses plus désirables, c’est tout.
Quelques axiomes.
Le paradis est un jardin.
L’enfance est un pré.
La peinture est un cercle.
Quoi d’autre ?
Ce qu’on sait déjà mais on ne sait pas qu’on le sait ou
bien on l’a oublié, il le montre, il le répète : tout est là
depuis toujours, tout est vrai, tout recommence.
Seul le présent existe.
Aimer cela.
Que peint-il ?
Ca.
Est-ce du sable, du sel ou de la neige ? Et d’où vient ce
bleu captif d’une chevelure ? Et ce carmin qui n’existe
pas ?...
Que veulent ses doigts ?
Il n’en sait rien.
La nature est un corps aveugle dont il est l’oeil et les
doigts.
Ce sont eux qui rêvent.
Et lui, que veut-il ?
Rien.
Sa quête – mais c’est aussi une aventure et un combat -
est sereine et sans illusion.
C’est une force lente qui s’élabore, s’émancipe des
préférences de la foule, des clameurs ordinaires, des
fausses images.
Un travail – Devaud travaille chaque jour comme un curé
ou un paysan !
Une joie qui reste humble, fragile, non pas donnée mais
reconquise à chaque instant.
Une persévérance attentive qui est le pressentiment et
l’aveu d’une dignité muette, inhérente aux choses.
Plus encore que la matière, le peintre Devaud nous rend
tangible la substance : ce qui demeure dans ce qui fuit,
dans ce qui coule, dans ce qui tombe.
Ce qui persiste dans l’accident.
De l’ocre, du noir avec un cran de ciel qu’on entrevoit,
comme si c’était déjà le matin.
Des ombres blanches et des présages.
La beauté d’une femme étrangère que son sourire accroît.
Le torse nu et décharné d’un vieil homme qui paraît coiffé
de son crâne.
On croit s’éloigner du réel parce que Devaud embellit
malgré lui ce qu’il touche, mais non, il ne cesse d’y
revenir.
Au vrai, il ne le quitte pas.
Chaque tableau ne renvoie qu’à lui-même, en pure perte,
comme si Devaud dessinait une échelle de sons, une
gamme, comme s’il pinçait inlassablement des cordes.
Son sujet, c’est la peinture.